Une chambre à soi

Lorsque j’étais en fac d’anglais, j’ai adoré étudier Virginia Woolf, notamment le roman fantastique « Orlando ». Je me souviens que, lors d’un voyage en Cornouailles, la famille d’accueil qui m’hébergeait me montra de loin de fameux phare qui a inspiré « To The Lighthouse », en français « La promenade au phare ». Moi, jeune femme du début du XXIème siècle, j’ai souvent mesuré ma chance, et gardé à l’esprit le regret de Woolf : à son époque, un siècle auparavant, il était bien difficile pour une femme de créer, d’écrire, car elle disposait de très peu de liberté, et pour écrire dans des conditions propices à la concentration il lui aurait fallu une « chambre à soi », fermée à clef pour ne pas être dérangée… « A Room of One’s Own » en anglais…

Cette expression est toujours gravée en moi, et raisonne encore plus depuis quelques semaines : ma fille a enfin sa propre chambre !!! Nous avons réaménagé notre appartement et recréé une chambre dont nous avions cassé le mur dix ans auparavant. A l’époque, nous n’avions pas anticipé que nous aurions une fille et un garçon, et que chacun aurait besoin de sa chambre !!! Cette pièce était d’ailleurs mon bureau, mon joyeux bazar, où tout était à sa place mais seulement pour moi, pas pour les autres ! Si on me demandait le formulaire XB12 de l’année 2007, je le retrouvais en deux minutes sous les monticules de paperasses, de livres, de magazines, de copies, de photos, de biscuits écrasés, de mugs de thé et de rouges à lèvres…mais malheur à qui essayait de chercher quelque chose à ma place ! C’était le remake des « aventuriers de l’Arche perdue » !!!

Maintenant, mon fils a pris possession des lieux, et il est fou de joie. Il a son petit lit, sa grande bibliothèque, ses millions de peluches et ses milliards de Playmobils…le bonheur quoi…et ma fille, comment dire…le sourire qu’elle avait quand je lui ai dit « bonne nuit » le premier soir restera gravé dans ma mémoire peut-être autant que le jour où je la verrai dans sa robe de mariée !!! Elle a enfin sa chambre…elle peut enfin s’isoler…elle peut enfin faire ses dessins de styliste sans que son frère ne vienne lui piquer ses feutres…elle peut enfin lire ses livres le soir sans que la lumière ne dérange son frère…et je peux enfin dire « va dans ta chambre, laisse ta sœur tranquille ! » (Même s’ils se cherchent toutes les secondes et ne peuvent vivre l’un sans l’autre…fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis !)

Quant à mon bureau, il a trouvé une place parfaite, très feng shui à mon goût…nous avons aménagé un coin bureau dans le salon à la place de l’espace de jeu des enfants. Tous leurs jouets sont retournés dans leurs chambres. J’ai de la place, je ne suis pas isolée, j’aime bien avoir de la vie autour de moi quand je travaille. Je me force chaque jour à ranger mon bureau, c’est ma résolution 2017…j’ai mis plein de classeurs dans les armoires de mon école, j’ai jeté six sacs de vieux papiers et trucs inutiles à la poubelle, et même s’il me reste encore beaucoup de tri à faire, je me sens nettement mieux !

Et ma fille échappera à cette amertume qu’une fille du début du XXème siècle pouvait ressentir…et même si elle mènera d’autres combats dans sa vie de femme, celui-là, elle l’aura gagné tôt…

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[Manu]

:-) :-)